Dans cette nouvelle édition de Mind Explorer(source), nous avons eu le plaisir d’accueillir Samah Karaki, chercheur en neurosciences et fondateur du Brain Social Institute. Connu pour ses travaux à la croisée des neurosciences et des sciences humaines, Samah Karaki explore des solutions pour améliorer l’apprentissage au sein du système éducatif. Dans cet entretien, il nous partage ses réflexions sur les transformations nécessaires pour repenser l’éducation, et l’impact que peuvent avoir les neurosciences sur les méthodes pédagogiques.
Un Regard Neuf sur l’Éducation : Vers une Approche Holistique
Karaki souligne un point essentiel : chaque élève arrive à l’école avec un vécu unique. Le cerveau d’un enfant n’est pas une « page blanche » ; il porte les traces de ses expériences, de sa nutrition, de son sommeil, et de son environnement émotionnel. Cela signifie que le système éducatif doit reconnaître cette diversité et cesser de considérer tous les élèves comme égaux face aux apprentissages. Pour Karaki, le premier changement structurel serait d’adapter l’apprentissage en tenant compte des contextes de vie variés des élèves, afin que chacun puisse progresser à son rythme.
« Ce cerveau qui arrive dans un environnement d’apprentissage n’est pas une page blanche ; il porte déjà tout ce qu’il connaît, tout ce qu’il vient de vivre. »
Neurosciences et Pédagogie : Comprendre pour Mieux Apprendre
Les neurosciences offrent des perspectives nouvelles pour optimiser l’apprentissage, un peu comme la biologie a révolutionné la médecine. Par exemple, Karaki met en avant des techniques comme l’intercalage et la récupération espacée. L’intercalage consiste à introduire plusieurs concepts en parallèle plutôt que de les séparer, tandis que la récupération espacée permet de renforcer la mémoire en rappelant des informations à intervalles réguliers.
Ces méthodes peuvent transformer l’éducation en facilitant la mémorisation et l’assimilation des connaissances. Au lieu de suivre un apprentissage linéaire, l’élève est amené à explorer différents concepts en les liant entre eux, ce qui crée une compréhension plus profonde.
« L’apprentissage ne consiste pas à assimiler des concepts séparés, mais à les comprendre en lien les uns avec les autres. »
Favoriser une Apprentissage Significatif
Pour Karaki, la pédagogie devrait privilégier des expériences d’apprentissage qui font sens pour le cerveau. Par exemple, en mathématiques, au lieu d’enseigner les concepts isolément (comme les chiffres ou les probabilités), il propose de les associer à d’autres domaines comme la poésie ou des expériences de la vie quotidienne. Ce lien entre différents savoirs rend l’apprentissage plus pertinent et plus absorbable.
L’approche constructive validée par les neurosciences montre que le cerveau apprend en donnant un sens aux informations et en les connectant à ce qui a déjà été appris.
« Le cerveau apprend en donnant du sens et en creusant dans ce qui a déjà été assimilé. »
Le Rôle des Neurosciences dans l’Éducation et ses Limites
Malgré leur potentiel, les neurosciences ne sont pas une solution miracle pour l’éducation. Karaki évoque le concept de « bridge too far » pour décrire l’écart entre les découvertes scientifiques et leur application directe en pédagogie. Les résultats de recherche en neurosciences doivent être interprétés et adaptés par les enseignants, les psychologues, et les professionnels de l’éducation pour être réellement bénéfiques dans un cadre scolaire.
« Comprendre que dans la dyslexie, il y a moins d’activation dans le cortex préfrontal, comment cela peut-il informer un curriculum scolaire ? »
Karaki insiste sur la collaboration nécessaire entre chercheurs et acteurs de terrain pour que l’intégration des neurosciences en éducation devienne une réalité concrète et adaptée.
Transformer les Croyances pour Optimiser l’Apprentissage
Un autre domaine crucial abordé par Karaki est celui des croyances sur les performances intellectuelles. Selon lui, le fait de penser que l’intelligence est fixe ou malléable influence la motivation des élèves face aux erreurs et leur engagement dans l’apprentissage. Les neurosciences montrent que lorsqu’une personne croit que l’intelligence est fixe, son cerveau réagit différemment aux erreurs : l’activité attentionnelle diminue, ce qui freine la progression. En revanche, lorsque l’intelligence est perçue comme évolutive, le cerveau reste actif même face à l’échec, permettant un apprentissage plus efficace.
« Les idées fixes sur l’intelligence influencent la motivation à progresser ; croire que l’intelligence est un trait malléable permet de mieux réagir aux erreurs. »
Changer les Perceptions Collectives de l’Intelligence
Pour Karaki, ces croyances sur l’intelligence ne se limitent pas aux élèves, mais sont aussi partagées par les enseignants, les parents et la société en général. Il souligne que la perception de l’intelligence comme un trait fixe est profondément ancrée et que cette représentation est influencée par les normes culturelles et historiques.
Les attentes de la société vis-à-vis de certains groupes peuvent modeler leurs croyances sur leur propre intelligence. Il est donc essentiel de sensibiliser l’ensemble des acteurs de l’éducation et de lutter contre les stéréotypes pour créer un environnement qui valorise le potentiel d’évolution de chacun.
« Le combat pour changer les croyances sur l’intelligence doit dépasser le cadre individuel et viser les représentations collectives, y compris celles des enseignants et de la société. »
À suivre…